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Le droit du droit

--> Entretien avec Paul BOUCHET
Entretien avec Paul BOUCHET
dimanche 19 septembre 2004


LE DROIT DU DROIT

 

Un entretien avec

Paul BOUCHET

Ancien président d'ATD Quart Monde

 

 

 

Propos recueillis par Claire CALLEJON et Mesmer GUEUYOU *

 

 

Droits fondamentaux - Voyez-vous l'universalité des droits de l'homme comme un idéal à atteindre ou plutôt comme une idée régulatrice qu'il faut garder à l'esprit pour avancer chaque jour ?

 

Paul Bouchet - Je suis très méfiant à propos des évolutions du vocabulaire. La Déclaration universelle des droits de l'homme, dans son préambule, considère qu'il s'agit d'un idéal à atteindre. Certains droits sont opératoires, d'autres pas. Pour moi, les droits de l'homme participent avant tout d'un processus, nécessaire au progrès humain en général. Je crois qu'il n'y pas de progrès acquis une fois pour toutes, mais à ma connaissance, l'homme a tout de même progressé dans son évolution, même s'il peut lui arriver en certains domaines de régresser. Or les droits de l'homme illustrent cette tendance vers davantage de conscience humaine et relèvent en ce sens d'une véritable lutte. Je n'apprécie pas spécialement ce genre d'abus de langage, mais je pense vraiment que ce que l'on appelle les « droits acquis » correspond à un processus en voie de s'arrêter. Je suis bien plus intéressé par les droits à conquérir, par tout ce qui fait que le processus continue. Ce qui m'intéresse est que le droit soit vivant, c'est-à-dire qu'il continue de représenter un espoir pour les vivants. Un droit qui ne serait que technique juridique ne m'intéresse pas. Je veux un droit qui permette d'avancer dans la voie de l'espérance et du progrès humains.

 

Droits fondamentaux - Parmi ces nouvelles priorités qui vous intéressent, il y a la lutte contre la pauvreté et contre l'extrême pauvreté. Existe-t-il une acception générale de ces notions ?

 

Paul Bouchet - J'ai toujours préféré les notions ouvertes aux concepts figés. Ce qui est frappant, c'est que les statisticiens se battent souvent sur des questions dépassées : savoir s'il y a plus ou moins de pauvres, par exemple, alors que, précisément, on ne sait pas ce que recouvre exactement cette notion. Parle-t-on des « anciens pauvres », de la pauvreté endémique de ceux qui en héritent et la transmettent à leur tour à leurs enfants ? Ou bien parle-t-on des « nouveaux pauvres », de ceux que la précarisation a rendus tels ? Par ailleurs, la pauvreté peut avoir reculé en certains domaines et au contraire crû en d'autres ; elle peut avoir disparu en certaines matières ou au contraire être apparue dans d'autres catégories. Pourquoi alors vouloir s'enfermer dans une photographie instantanée au lieu d'essayer de saisir le combat en cours ? Or ce combat est très clair : il faut qu'il n'y ait plus de pauvres ! Qu'ils soient qualifiés d'anciens ou de nouveaux, qu'ils soient appréhendés de manière quantitative, ce qui n'est pas à mon avis la bonne manière, ou, ce qui me paraît une meilleure approche, de manière qualitative. Ce qui m'importe est qu'effectivement, il n'y ait le plus rapidement possible sur cette planète, non pas une moitié de gens pauvres, mais plus un seul pauvre, qui soit privé de fait de l'essentiel de ses droits fondamentaux.

 

Droits fondamentaux - Cela signifie-t-il que la distinction entre pauvreté et extrême pauvreté vous paraît artificielle ?

 

Paul Bouchet - Non. Dans la progression nécessaire de tout combat, il faut commencer par s'attaquer aux priorités, et ce à l'intérieur même des priorités. Toute action humaine est ordonnée en fonction de priorités. Naturellement, la lutte contre l'extrême pauvreté est plus urgente que la lutte contre la pauvreté « tout court » et plus encore que la lutte contre la baisse du niveau de vie des classes dites « moyennes ». L'idée est de ne pas accepter que l'on ait une situation présente, quelle que soit la façon dont on la décrit (statistique ou autre), qui pour moi demeure inacceptable. Savoir refuser l'inacceptable, savoir dire non, c'est la seule façon d'être capable de dire réellement « oui ». Et il faut alors commencer par ce qui est le plus inacceptable.

 

Droits fondamentaux - Précisément, où situez-vous l'inacceptable ?

 

Paul Bouchet - Ceux qui sont privés de l'ensemble des droits fondamentaux. Malheureusement, il y en a des milliers et des milliers, y compris dans les pays dits de démocratie civile et politique ! Vous connaissez comme moi la vieille distinction entre « droits civils et politiques » et « droits économiques, sociaux et culturels », que pour ma part je récuse totalement, qui est le fruit de l'histoire d'un moment, le fruit de la guerre froide, alors que l'ensemble de ces droits avaient fait l'objet d'une Déclaration commune en 1948, même si on en connaît les difficultés de rédaction. A cette notion séparatiste des droits doit être substituée la notion unique de droits fondamentaux. Prenons l'exemple de la Chine, puisque c'est ce qui améliore les statistiques de lutte contre la pauvreté d'après la Banque Mondiale. C'est en Chine que la pauvreté a le plus reculé : on ne peut dire pour autant que c'est le progrès des droits civils et politiques qui l'a permis ! Les relations ne sont pas mécaniques en la matière.

 

Droits fondamentaux - L'uniformisation du droit international peut-elle être une solution pour parvenir à une plus grande justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels ?

 

Paul Bouchet - Je n'emploierai pas le mot « uniformisation » : je n'y crois pas. Je crois que le monde doit aller au contraire vers un pluralisme ordonné. C'est ma conviction profonde après une vie vouée au droit, y compris à la base comme modeste avocat. Ce n'est pas par hasard que Kant et les grands auteurs craignaient une monarchie universelle, voire une république universelle. Il faut bien sûr que les droits fondamentaux soient universellement reconnus et appliqués, mais ce n'est pas parce que l'on déclare que les droits fondamentaux sont universels qu'ils le sont ou qu'ils le deviennent. En réalité, les droits fondamentaux sont universalisables et ils doivent l'être. Les processus pour parvenir à l'universalité sont des processus circonstanciels qui tiennent compte des conditions de temps et de lieu, de la diversité des cultures, du niveau économique, de langage, etc. Le mot « droit » n'est pas traduit de la même façon partout. Oserais-je vous rappeler qu'entre « Rule of law » et « Etat de Droit », il y a de fortes nuances. Sous Staline, la Constitution de 1936 était admirable dans sa forme. Si l'on veut dépasser cela et se réinscrire dans le courant vivant d'un droit en progression, le droit international ne peut pas être un droit « uniforme », un droit « d'en haut ». D'ailleurs, « en haut », ce serait qui ? Les 191 pays maintenant membres de l'ONU, dont l'immense majorité ne sont absolument pas démocratiques ? Ce serait cela, les gens qui, d'en haut, parachuteraient un droit uniforme et universel ? Non, c'est d'« en bas » et de l'attente des peuples et des individus, privés de leurs droits, que doit remonter, sourdre, progresser, se construire le droit des temps nouveaux, qui sera un droit pluraliste mais répondant à une finalité commune. C'est en ce sens que le droit doit être « universalisable ».

 

Droits fondamentaux - Comment expliquer la lenteur de la prise en compte d'un phénomène aussi constant que la pauvreté ?

 

Paul Bouchet - Les processus ont leur déroulement qu'on ne peut pas toujours forcer. Prenons l'exemple de la France. Une idée aussi simple que de reconnaître que la pauvreté est une violation des droits fondamentaux n'a pas été chose évidente. Il a fallu pour cela des années d'efforts, de la part notamment d'ATD Quart Monde et plus particulièrement encore de son fondateur, le père Joseph Wrezenski, qui était membre du Conseil économique et social. Il a fallu attendre 11 ans, à partir du rapport qu'il avait établi, pour que la loi sur l'exclusion soit votée. Je ne suis donc pas de ceux qui disent qu'il faut laisser du temps au temps, comme une soupape de sûreté. Je dis au contraire : « faisons attention de ne pas nous laisser doubler par le temps ! ». C'est dans les moments de crise que l'on peut accélérer la marche. Faisons-le !

 

Droits fondamentaux - Vous affirmez que l'éthique doit être placée au dessus de toutes les valeurs. Comment le justifiez-vous et comment convaincre les différents acteurs engagés dans la lutte contre la pauvreté de s'engager dans cette direction ?

 

Paul Bouchet - Parce que l'éthique est première. Le droit est une création de l'esprit humain à un certain stade de développement. Il existe des pays où le mot « droits » est très difficile à traduire. Nous sommes dans une tradition de droit romain et nous héritons d'une notion précise. En revanche l'éthique est ce qui est inné, inhérent à la nature humaine. Avant même que les décalogues soient écrits dans quelque langue ou dans quelque religion que ce soit, certaines choses sont constantes dans l'homme. Il sent ce qui est digne et indigne de sa condition. Il sait avant même que cela ne soit écrit dans des tablettes ou que cela ne soit intégré dans le droit que tuer son prochain sans raison (hors légitime défense, etc.), que voler son prochain si on n'est pas dans le besoin (cas d'extrême nécessité, etc.) n'est pas bien. Donc l'éthique est première, fondatrice. Le passage de l'éthique au droit est second. Et le beau droit, le bon droit, - pas au plan formel, mais en profondeur - est celui qui procède de l'éthique. Pas une technique compliquée d'organisation des rapports humains, mais une traduction dans l'organisation sociale des grands objectifs fondamentaux de l'humanité.

 

Droits fondamentaux - Quels peuvent être les rapports entre la terreur et la misère ?

 

Paul Bouchet - Vous savez qu'au sortir de la deuxième guerre mondiale ces rapports ont paru évidents puisque l'on a donné comme but à la Déclaration universelle des droits de l'homme, dans son préambule, de libérer les hommes de la terreur et de la misère. Or tout le monde peut voir où nous en sommes ! Pour ne pas les avoir libérés de la misère, il ne semble pas que l'on ait davantage réussi à les libérer de la terreur. C'est peut être qu'il y avait un lien entre les deux... Mais je crois que c'est à juste titre qu'au sortir de ce conflit extrêmement révélateur, l'une des grandes crises de l'histoire de l'humanité, ce n'est pas par hasard que l'on a compris que cela était essentiel pour la libération humaine. Ce qui pèse le plus sur le destin humain, ce qui l'empêche le plus d'authentique progrès, c'est bien lorsque l'homme n'est pas libéré de la peur ou de la misère.



* Propos recueillis à Nantes (France), le 19 mai 2004, lors du Forum mondial des droits de l'homme.


Ecrit par Xavier , le Vendredi 31 Décembre 2004, 18:33 dans la rubrique "ATD dans la presse".